Q. Quelle est votre compréhension du contexte historique de l’apparition du Tai-Chi ?

Il y a réellement deux versions de l’histoire du Tai-Chi – une source académique et une autre qui est transmise de maître à élève. Mon professeur (Maître Huang Xingxian) avait sa version qui lui avait été transmise par son professeur qui elle – même avait été transmise par son professeur, et ainsi de suite. Je crois plus en celle-ci car chaque personne de cette chaîne fut formée par son professeur pendant longtemps, 20 ans ou plus. Les enseignants transmirent leur véritable connaissance qu’ils avaient reçue de leurs propres enseignants.

Écrits historique

Puis il y a les écrits historiques et ils sont vraiment incomplets parce qu’en particulier, dans l’ancien temps, l’enseignant ne diffusait jamais l’information – il s’agissait d’une information secrète qui était transmise d’enseignant à élève. C’est seulement dans des temps plus modernes que l’histoire a été écrite et que des corrélations ont été faites entre les différents comptes – rendus.

Si vous regardez les documents historiques en remontant quelques générations, il y a une coupure, du passé on ne sait pas grand-chose. L’information transmise de professeur à élève est plus continue et remonte vers celui qui est considéré comme le fondateur mythique (peut-être), Chang San Feng, qui vécut il y a environ 750 ans. C’est ainsi  que cette information a été transmise. Mon professeur l’avait reçue de son professeur et ainsi de suite, aussi loin que nous le savons. Je pense que ce sont des informations plus véridiques.

Q. Que pouvez-vous dire sur ce qui s’est passé par exemple à l’époque de Yang Lu Chan (1799-1872) ?

Et bien, Yang Lu Chan a appris d’un membre de la famille Chen. Il est vrai (selon la tradition interne) que le meilleur élève de chaque Maître reçoit la filiation – parfois il y a plusieurs meilleurs étudiants et non un seul. Ainsi celui (ou ceux) des meilleurs étudiants reçoit une filiation. L’autre tradition reçue par les membres de la famille est plus la filiation de type externe et non celle de l’interne. Yang Lu Chan, pour autant que nous le sachions était le meilleur élève, bien meilleur que les autres élèves de son maître, et ainsi la tradition du Tai Chi passa  par Yang Lu Chan.
Selon maître Ma Yu Liang, le style Chen actuel n’est pas représentatif du Tai-Chi que pratiquaient les gens du Chen, à l’époque de Yang Lu Chan. Maître Ma disait qu’il s’était perdu et qu’il a été recréé assez récemment par la famille Chen, selon le style de l’art Shaolin.

Q. Ce qui explique pourquoi le style Chen que nous voyons actuellement ressemble beaucoup aux styles Shaolin ?

Oui. En fait, le Tai Chi Chen est beaucoup plus proche du Shaolin que du Tai-Chi. Ce qui est arrivé entre autres en Chine, c’est qu’à l’époque des communistes, ils supprimèrent le Tai Chi. Bon nombre des meilleurs pratiquants s’enfuirent à Hong Kong, à Taiwan, en Amérique et en Grande-Bretagne. Ceux qui sont restés en Chine ont été fortement réprimés – on les empêcha de pratiquer ou d’enseigner, souvent ils furent emprisonnés et parfois tués. Plus tard, les communistes réalisèrent qu’ils avaient fait une erreur et ils ont commencé à tenter de ressusciter le Tai-Chi. Mais comme les styles Yang et Wu avaient fui en particulier à l’Ouest, ils ont tenté de ressusciter le style Chen – qui devint alors l’art sponsorisé par le gouvernement qui n’a guère été enseigné en Occident. C’est pourquoi le style Chen est devenu populaire. J’ai connu des gens du style Yang et Wu qui sont passés au Chen, tout simplement parce que c’était le seul qu’ils étaient autorisés à pratiquer.

Q. Au sein de la lignée qui vous  a formé,  le Tai Chi a-t-il changé du tout au tout depuis son origine ?

On ne sait absolument pas comment il a changé au cours des derniers siècles. Ce que nous savons (encore une fois cette information provient de mes échanges avec maître Ma Yu Liang qui a vécu à Shanghai la majeure partie du XXe siècle), c’est que la forme lente n’existait pas avant cette époque. La forme lente du Tai-Chi style Yang a été créée au début du XXe siècle. Yang Cheng Fu créa la forme de style Yang et Wu Chien-Chuan créa le style Wu. Avant les formes étaient sensiblement différentes.
Q. Il ne semble pas y avoir beaucoup de cohérence entre les différents récits de l’histoire du Tai Chi. Non, car il n’y a pas beaucoup de bonnes informations à ce sujet. Maître Ma voyait et connaissait ces vieux personnages du Tai-Chi : Yang Cheng-Fu, Wu Chien-Chuan, Chien Yang-Hou, Yang Pan-Hou. Avant ce rapport de première main,  l’histoire est vraiment imprécise.

Q. Comment pensez-vous que les philosophies de la Chine ont influencé le Tai-Chi, par exemple le Confucianisme, le Taoïsme et le Bouddhisme Chan, ont-elles joué un rôle en influençant le Tai Chi ?

Elles ont joué un rôle inévitablement, elles jouent un rôle dans l’ensemble de la société chinoise. Les Chinois intègrent surtout ces trois philosophies en douceur dans leur vie sans sentir qu’elles sont distinctes. Ils utilisent généralement le Confucianisme pour mener leur vie extérieure, leur relation avec les parents, la famille, la société. Le Bouddhisme est plus de nature religieuse, le Taoïsme plus de nature philosophique et donc ils utilisent la philosophie taoïste, la religion bouddhiste et l’interaction sociale issue du confucianisme. Ainsi ce pragmatisme philosophique infiltre naturellement l’enseignement du Tai-Chi. Maître Huang et Maître Ma, par exemple, étaient membres d’une société ésotérique qui délibérément intégra les principes confucéens, taoïstes et bouddhistes. Ils les ont fusionnés sans avoir le sentiment que des personnes pourraient se rendre à l’ouest et que ces trois philosophies distinctes devaient être gardées séparées.

Q. A l’Ouest, la plupart des gens disent que le Taoïsme a eu la plus grande influence sur le Tai-Chi. Est-ce vrai ?

Oui, je dirai que c’est vrai, le Tai Chi est considéré plus comme un art taoïste, tandis que les arts de Shaolin sont pratiqués dans les monastères bouddhistes. Tai-Chi, Hsing I, Ba Gua et d’autres arts moins célèbres sont plus issus d’enseignants taoïstes. Le professeur de Maître Huang était connu comme un moine errant taoïste. Le bouddhisme a eu une influence en Chine plus tardivement que le Taoïsme. Les premières traces du Taoïsme remontent à plus de 2500 ans par Lao Tseu, qui doit être je suppose à l’origine de son influence. C’est lors de la rencontre du Taoïsme et du Bouddhisme que le Bouddhisme Chan apparu. Plus tard le Bouddhisme Chan se propagea de la Chine vers le Japon et donna naissance  au Bouddhisme Zen.

Q. Le symbole Yin Yang semble issu du Taoïsme, pourriez-vous expliquer le sens général de ce symbole et son lien particulier avec le Tai-Chi ?

Le Tai Chi est un concept philosophique qui existait bien avant le Tai Chi en tant que pratique. C’est seulement au cours du dernier ou des deux derniers siècles que le nom de Tai-Chi a été donné à ce système de pratique. Le sens général du symbole Yin Yang, en termes simples, est l’interaction intelligente de forces opposées, plutôt que la réunion stupide et le conflit entre des forces opposées. Pour être plus précis, cela peut s’appliquer à deux personnes, l’interaction intelligente entre deux personnes. Il peut s’appliquer d’une manière plus générale dans la société, aux grandes tensions des groupes sociaux ou même en cosmologie, aux interactions des univers. Par ailleurs, ces deux forces conflictuelles peuvent également s’exercer plus particulièrement à l’intérieur de vous-même.

Par exemple, les émotions et l’intellect ou les pulsions du corps et les souhaits de l’esprit. Le symbole du Yin Yang pourrait s’appliquer également à la lutte entre les forces extérieures qui conduisent une personne dans la vie extérieure et les forces intérieures qui la relient avec l’évolution interne, l’illumination ou l’immortalité.
Pour en  dire un peu plus,  cela peut être vu dans l’interaction de la sensibilité et de l’intention, en termes d’activité et de passivité. Ainsi c’est de la rechercher plus précisément, non comme deux forces opposées équivalentes mais une en permanence active et l’autre passive, plus l’interaction intelligente entre ces deux forces. L’intelligence est la force de neutralisation, ce qui n’est pas toujours vu. Cette interaction intelligente entre la sensibilité et l’intention de l’esprit se reflète également dans le système nerveux : les neurones sensoriels se connectent avec l’appareil sensoriel du corps et les neurones moteurs se connectent avec l’appareil moteur, tandis que les neurones de liaison transmettent l’information entre les neurones sensoriels et les neurones moteurs. Ainsi, l’esprit lui-même se reflète dans le système nerveux du corps qui est un exemple très précis du diagramme Yin Yang.

Q. Ce qui veut dire que c’est aussi corroboré scientifiquement ?
Oui, le diagramme de Tai-Chi est une description physique très précise de ce qui se passe dans le corps.

Q. Pouvez-vous expliquer l’idée contenue dans les méthodes d’entraînement qui fait de votre Tai Chi un art interne ?
Qu’est ce qui fait qu’un art est plus interne qu’externe ? A la base quand l’esprit est actif et le corps répond – plutôt que juste le mouvement du corps qui s’installe – alors l’art est interne. À l’inverse lorsque les gens s’entraînent à bouger seulement avec la sensibilité, le corps effectue l’action tandis que la conscience est sensible au corps en mouvement. Dans ce cas, le corps est actif et l’esprit passif. C’est vraiment un art externe s’il est pratiqué de cette manière.

Puis, il y a la question du niveau de l’intention qui initie le mouvement. Si l’intention est entièrement externe alors vous pouvez à peine dire que l’art est interne. Par exemple, visualiser une image dans votre esprit, puis essayez de l’utiliser pour réguler le mouvement, cela peut-être une utilisation très superficielle de l’esprit. Ainsi c’est la profondeur de l’esprit produisant l’intention de se déplacer qui détermine le niveau de l’art interne.

Q. La plupart des gens qui viennent au Tai-Chi le font parce que leur mental devient relativement calme et qu’ils acquièrent un état psychique détendu et agréable, ils peuvent expérimenter un état paisible et doux, pouvez- vous nous dire un peu comment cela peut aider (ou entraver) le processus de Tai-Chi ?
Il est nécessaire dans les premières étapes d’apprendre à mettre au silence le mental, de calmer les émotions et de détendre le corps.  Il s’agit d’une formation externe, vous déplacez le corps doucement, calmement, vous respirez tranquillement et ainsi, grâce à l’écoute du mouvement calme et doux, le mental se calme, les émotions s’apaisent, le corps lui-même devient détendu. Ainsi ce premier entraînement prend généralement quelques années – ce qui amène la condition de base à partir de laquelle les personnes peuvent commencer la formation interne.

Q. Le Tai-Chi est souvent représenté comme un art fluide, donnant un sentiment paisible au pratiquant. Vous pensez que c’est un portrait réaliste du Tai-Chi ?
Il y a deux aspects à la fluidité. L’aspect externe, en supprimant les excès de pensées, d’activité émotionnelle et d’activité physique ; les mouvements doux qui en résultent donnent une sensation de fluidité mais c’est seulement le sens externe de la fluidité.   
Il y a un autre sens complètement différent, si vous continuez un entraînement intensif, après quelques décennies peut-être, vous arriverez dans un état où, lorsque la partie la plus profonde de vous-même deviendra active, vous serez alors capable de gérer des circonstances extérieures difficiles très facilement.
Ainsi la première fluidité qui apparaît s’opère dans des circonstances extérieures aussi facilitatrices que possible, en étant aussi silencieux et calme que possible, en se déplaçant doucement et lentement. Par ces conditions externes aisées vous obtenez un état fluide. Malheureusement quand vous rencontrerez par la suite des conditions extérieures difficiles, l’aisance disparaîtra.
C’est seulement plus tard, grâce à une grande intelligence d’une partie plus profonde de vous-même que vous pourrez gérer aisément des conditions extérieures difficiles. Il s’agit d’un aspect beaucoup plus profond de la fluidité, issu seulement d’une longue formation.


Q. Quand cela arrive, est-ce la question d’une profonde intégration du Tai chi qui se pose ?
Lorsqu’une personne est capable de gérer de façon très intelligente, douce et agréable des conditions extérieures difficiles dues à une pression physique, émotionnelle ou mentale, c’est le signe que l’entraînement de cette personne est allé réellement en profondeur.  Q. Selon vous quelle est l’importance de la relation du Tai Chi avec le passé et aujourd’hui la pertinence de cet art dans la vie ?
Le lien avec le passé est important non d’un point de vue philosophique mais dans ce sens que chaque personne qui reçoit une formation en profondeur, reçoit  l’art d’une personne qui l’a travaillé profondément.  La formation remonte au-delà de l’histoire connue et bien que l’art puisse être raffiné de génération en génération, il dépend encore de cette information très épurée et de la formation transmise par les générations précédentes. Ce n’est pas quelque chose de tout nouveau qui peut être découvert facilement en une seule génération. C’est l’importance du passé.  
L’art est tout aussi pertinent pour l’époque moderne qu’il le fut pour chacune des générations du passé.


Q. Maître Huang mettait-il l’accent sur certains principes philosophiques ?
Il a mis un accent important sur les principes philosophiques des trois philosophies évoquées précédemment – Confucianisme, Taoïsme et Bouddhisme. Il n’a pas fait de distinction entre-elles, il les considérait toutes comme relevant des enseignements du Tai-Chi.

Comme je le disais, il était membre d’une société ésotérique (comme l’était Cheng Man Ching et Yang Cheng Fu) où ils intégrèrent les pratiques sociales externes du confucianisme, un peu des pratiques religieuses du bouddhisme (chants et lecture de soutras…) ainsi que la circulation et la transformation de l’énergie interne transmises dans la méditation taoïste. A l’origine, il fut éduqué par son professeur au Tai Chi dans la tradition taoïste alors que ce dernier était un moine taoïste. Il lui a appris la médecine chinoise, les arts de combat taoïstes et  la philosophie taoïste ainsi que l’apprentissage de la lecture des Classiques et des anciens écrits taoïstes … tout cela faisait partie intégrante de son apprentissage, qu’il a tenté de nous transmettre. 

Q. Vous parlez des Classiques du Tai Chi. Pourriez-vous expliquer ce qu’ils sont?
Les Classiques du Tai Chi sont un ensemble de textes dont je ne peux donner les dates exactes, je ne peux même pas donner les références précises des manuscrits, parce que différents enseignements considèrent des écrits quelque peu différents comme étant les Classiques. Mais il y a un corpus de base des Classiques d’environ cinq écrits. Ce sont des textes  d’enseignants compétents de Tai-Chi, écrits au cours du dernier ou des deux derniers siècles. Ils contiennent les principes fondamentaux du Tai Chi et normalement les gens y font référence pour tout, en étant conforme (ou en s’adaptant) à ces écrits particuliers, y compris pour le Tai-Chi et si ce n’est pas le cas, vous ne pouvez pas vraiment l’appeler Tai Chi.

Q. Au cours de votre vie vous avez étudié trois philosophies avec trois enseignants principaux : le Taoïsme avec Maître Huang, le Yoga avec Muni Maharaj et le Soufisme avec Abdullah Dougan. Comment conciliez- vous ces différentes approches en vous-même alors que, par exemple, étudier deux Tai chi de lignées légèrement différentes, peut engendrer de la confusion ou être problématique ?
J’ai été capable de gérer ces trois enseignements, l’enseignement du yoga hindou, l’enseignement taoïste et l’enseignement soufi de la même façon que mon professeur était capable de gérer le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme. Plus précisément, j’ai cherché ce qui était commun à ces trois enseignements et j’ai considéré que ce qui était commun, était ce qui était important. À l’inverse, ce qui est spécifique à chacune de ces traditions est une couche sociétale par laquelle ces traditions se manifestent.
Ces trois personnes très expérimentées (qui avaient elles-mêmes appris de différentes personnes expérimentées) m’ont aidé à choisir, au sein des traditions, entre les éléments principaux vraiment importants et cette couche que l’histoire et la société ont posée sur elles.

Q. C’est-à-dire aller au-delà de l’aspect culturel de ces traditions ?
Oui, c’était cette idée. J’ai regardé au-delà des aspects culturels parce qu’avec la culture, tout se stratifie au cours du temps.

Q. En cherchant ce qui était personnellement pertinent pour vous ?
Pas vraiment, je ne cherchais pas ce qui était pertinent pour moi, j’essayais plutôt de voir quelle était la véritable essence de l’enseignement. J’ai appris de chacun de ces professeurs, profondément en eux il n’y avait aucune différence. Ils ont compris exactement la même chose. Chacun d’eux a laissé au moment de sa mort, très peu d’aspect culturel dans leur enseignement. Cependant au préalable, l’enseignement était beaucoup plus lié à leur culture. Par exemple, Maître Huang, lorsque je l’ai connu, était très influencé par la culture chinoise, 20 ans plus tard son enseignement en était bien moins imprégné. Ce fut la même chose avec les autres enseignants. En dehors de cette transformation, en profondeur, l’enseignement était le même.

Q. Pour cette raison étaient-ils considérés dans leur propre culture comme étant peu orthodoxes ?

Comme ils se sont développés progressivement, chacun d’entre eux était considéré comme peu orthodoxes.


Q. Dans le cadre du Tai Chi, que pensez-vous d’une perspective spirituelle au sein de Tai-Chi ?
Dans le bouddhisme, il est question d’illumination, dans le taoïsme d’immortalité et dans le soufisme d’annihilation. Dans les traditions yogiques des hindous, ils parlent de la réalisation. Ainsi réaliser le moi, détruire le moi non réel du soufisme, devenir immortel dans la tradition taoïste, vivre l’illumination dans la tradition bouddhiste : sont toutes des approches justes pour avoir un aperçu extérieur de  cet état qui peut s’installer comme résultat d’une véritable formation.  Lorsque cette transformation arrive (si vous considérez la personne comme emplit de lumière ou l’apparition de la vacuité immortelle ou la déconstruction de l’égo permettant au Moi de se réaliser) alors la personne peut vivre au sein de cette partie réelle, très profondément en elle-même. Il n’y a plus de dépendance au corps et une forme d’immortalité est atteinte.

Ce processus devrait être identifié clairement comme un chemin continu sans fin prévisible. Mais il y a des étapes sur ce chemin, on pourrait raisonnablement en nommer une : celle dont la dénomination moderne d’ « illumination » peut conférer une sorte d’immortalité et qui d’une autre manière peut-être appelée autoréalisation. Cette étape est la stabilisation d’un contact clair avec la vraie partie de vous-même, votre Moi Réel. Les enseignants développés considèrent cette étape comme majeure dans le cheminement

Q. Il semble qu’actuellement il y a un danger avec les différentes traditions spirituelles offertes comme une marchandise ou est-ce maintenant une industrie new-age, une industrie spirituelle qui rend difficile pour les gens de discerner clairement ce qui véritablement va les aider, d’un simple enseignement superficiel. Pourriez-vous donner des conseils à ce propos, comment les personnes peuvent-elles discerner distinctement le faux du vrai?
Le problème se pose inévitablement pour chaque personne parce que les gens commencent à partir d’une partie relativement superficielle. Cette partie, le cerveau cortical, lit, entend ou voit quelques enseignements profonds et les traduit pour les intégrer dans sa propre structure superficielle. Donc, quelque chose qui est vraiment profond et au-delà de la conscience cérébrale (qui ne peut percevoir qu’avec les sens extérieurs), est traduite en concepts mentaux par la partie superficielle d’une personne qui imagine comprendre ces enseignements profonds. Puis elle commence peut-être à les enseigner, même les vendre à d’autres personnes et ainsi inévitablement, à chaque génération, depuis la nuit des temps, le même processus dégénératif s’installe.

Esprit profond


Un enseignant bouddhiste me raconta une histoire en liaison avec ce que j’expliquais à ce sujet.  Un des disciples du Bouddha, après s’être formé pendant 20 ans se présenta devant le Bouddha et lui dit : « Depuis 20 ans,  j’ai fait vos méditations, vos pratiques religieuses et vos pratiques physiques et pourtant il me semble qu’il n’y a pas de résultat ». Le Bouddha répondit : « Bien que vous ayez suivi tout ce que j’ai dit, tout ce que vous avez fait, vous l’avez fait avec votre esprit habituel. Vous avez traduit tout ce que j’ai dit dans vos concepts habituels, vous avez répété les mantras avec votre esprit habituel, vous avez fait la méditation avec un esprit habituel mais l’esprit habituel ne peut pas conduire à l’esprit du Bouddha ».

Ce problème, le même problème depuis 2500 ans, continue aujourd’hui. Les gens lisent, entendent et voient des enseignements profonds et subtils puis rapidement s’imaginent qu’ils les comprennent. Donc la seule façon d’éviter cette fausse piste est de trouver quelqu’un qui a fait quelque chose de réel dans la pratique et qui peut vous conduire dans sa profondeur. 

Q. Pourriez-vous dire à quel point cet art du Tai Chi apparemment doux pourrait être utilisé comme un art martial efficace?

Un adage dans le Tai Chi est que le faible peut vaincre le fort, la lenteur peut surpasser la rapidité. La façon dont vous pouvez utiliser le Tai Chi pour surmonter la rapidité et la force est de ne pas s’opposer à la rapidité et à la  force. Vous ne devez pas vous opposez à la force mais fusionner avec la force de la personne et faire partie d’elle. Vous devez bouger avec elle et ensuite vous pourrez avoir une influence sur elle – c’est le moment où vous tentez de la bloquer ou de la forcer vers une autre direction, alors vous répondez à la force.

Précisément quand une force vient, vous devez vous déplacer dans la même direction que la force, alors vous pouvez doucement avoir une influence sur elle – de la même manière qu’en tirant sur ​​une corde accrochée au naseau d’un taureau plutôt que de répondre à la force du taureau ou vouloir le forcer à aller sur le côté. Des personnes non entraînées répondent généralement à la force en faisant face alors que les personnes formées dans les arts martiaux les plus durs, s’entraînent à parer la force à 90 degrés. Mais dans les deux cas, ils s’appuient sur la force des opposants.  Même le plus petit individu peut commencer à conduire le taureau par son naseau, une fois que le taureau commence à avancer. C’est un dicton en Tai Chi « de diriger le taureau par son naseau » et c’est la clé pour faire face à la force de l’adversaire. En ayant fusionné avec son mouvement, vous pouvez alors commencer à avoir une influence intelligente sur sa force. 

Le bon timing

En ce qui concerne le lent qui surpasse le rapide, cela se fait par le timing. Cela ne s’opère pas simplement par des mouvements lents qui surpassent une personne se déplaçant rapidement, mais cela se réalise par un fonctionnement conscient à ​​un niveau beaucoup plus profond.  Cette profondeur permet de percevoir et de comprendre le processus dès son début, vous voyez ses premiers signes avant que le processus soit entièrement développé. Cela vous place du point de vue temporel en avance sur votre adversaire, alors sans avoir besoin d’une grande vitesse, vous pouvez être prêt pour l’évènement quand il prend toute son ampleur.  Ainsi le bon timing peut surmonter la vitesse et la sensibilité, en fusionnant avec le partenaire pour surmonter sa force. En utilisant l’intelligence sensible développée par le vrai Tai Chi, il est possible pour la plus petite, la plus faible personne, de traiter définitivement avec la puissance d’une personne plus grande, plus forte, plus rapide.

Q. Au début, les gens peuvent comprendre ce principe mais combien de temps selon – vous faut-il pour le mettre en pratique ?
Apprendre progressivement la capacité de surmonter la force et la vitesse avec une sensibilité intelligente, est une capacité qui s’installe au fil du temps. Au départ, la cpacité est faible puis peu à peu,  au fil des décennies,  cette capacité se développe. Mais après une,  deux ou trois années, une personne devrait avoir une certaine capacité pour faire face à la force brute, en fusionnant et en se déplaçant avec elle, plutôt qu’en s’y opposant ou en essayant de la forcer à aller dans une autre direction. Bien sûr, après des décennies les compétences devraient converger vers la perfection.    

Q. Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui veut commencer le Tai Chi ?

Si vous souhaitez commencer le Tai Chi, il y a deux choses à bien faire. La première est le processus d’apprentissage, l’autre est la démarche pour trouver un bon professeur ou un bon enseignement. 
En ce qui concerne le processus d’apprentissage, commencer par l’externe et travailler lentement vers l’interne. Vous devez commencer avec exactement ce que vous avez. Vous avez les mouvements de votre corps, de vos pensées et de vos sentiments ; vous devez commencer par un processus de raffinement de ces trois entités ensemble. Précisément, vous commencez par supprimer les tensions du corps c’est-à-dire que la détente du corps est généralement considérée comme la première étape d’apprentissage du Tai Chi. Cela peut prendre un, deux ou trois ans, si vous pratiquez suffisamment pour supprimer l’excès de tension externe du corps.

Dans ce processus, la tension émotionnelle associée et la suractivité du cerveau seront également touchées, elles seront réduites. C’est ce que les gens devraient chercher initialement.

Pour trouver quelqu’un capable de vous enseigner cela, vous devez y mettre votre propre intelligence, votre propre expérience de la vie pour chercher autour de vous. Dans la gamme des enseignants, certains savent plus, certains savent moins, certains vous sont plus appropriés et d’autres le sont moins. Idéalement, vous devriez choisir quelqu’un qui a été formé pendant un temps substantiellement long avec son professeur qui, à son tour a été formé pendant un temps substantiellement long avec son professeur qui, a été formé pendant un temps substantiellement long… de sorte que les éléments très subtils de l’enseignement se sont transmis à travers les générations et sont disponibles pour vous quand vous les apprendrez. 

Additifs :

Q. Je me demandais si vous pourriez répondre à d’autres questions sur l’histoire du Tai Chi ? Il semble que plus je m’y penche et moins il peut en être dit sur certaines personnes avant le milieu du XIXe siècle. Selon la transmission orale de l’histoire du Tai Chi que vous avez reçue, est-il vrai que Cheng Man Ching a reçu les enseignements de Yang Cheng Fu ou a-t-il appris d’un des élèves de Yang ?

Cheng Man Ching a appris directement de Yang Cheng Fu – mais bien sûr il a aussi appris par les élèves de niveau supérieur.  C’est de cette façon que travaillent toutes les écoles. Il a surtout appris la méditation de Zhang Qinlin, un des plus anciens élèves de Yang Cheng Fu (en réalité, un élève de son père, Yang Chien-hou).  

Q. Que sait-on  de Yang Lu Chan, a-t-il appris auprès de Chen Chanxing ?  Avait-il d’autres enseignants ?

Je n’ai aucune bonne information sur Yang Lu Chan et ses professeurs.Q. Où la famille Chen a-t-elle appris son art ?
La plupart des vieux enseignants disent que le style Chen moderne vient principalement du village Chen Shaolin, historiquement il était peu en relation avec le Tai-Chi du village Chen.

Q. Quelle était la valeur de Wang Tsung Yueh ?
Il n’y a que spéculation pour savoir exactement qui il était.

Q. Maître Huang a été formé par un Sage taoïste de ce fait il fut surtout renseigné par lui ?

Oui, le professeur de la Grue Banche de maître Huang était un moine taoïste.  Il lui enseigna la Grue Blanche, la médecine chinoise et la méditation.

Q. Pouvez-vous m’en dire plus sur les centres d’intérêts spirituels de certains de ces enseignants ?

Cheng Man Ching était dans une « société sacrée » taoïste comme Yang Cheng Fu, croyons-nous.  Maître Huang en était également membre. Il en était de même pour Maître Ma Yue Liang, je crois (il a évoqué ce sujet avec moi). Cette société existe encore à Taïwan et à Singapour. On y enseigne les pratiques de l’énergie interne du taoïsme, les attitudes mentales du bouddhisme et les règles sociales du confucianisme.  J’ai rendu visite à l’organisation de Singapour il y a un an ou 2. Ils ont 3 temples – un consacré au Taoïsme, un autre au Bouddhisme et le dernier au Confucianisme. Habituellement, cette information était gardée secrète.  La plupart des élèves (de Yang, Cheng, Ma ou Huang) n’en parlent pas.  C’est une information uniquement pour les  «élèves à l’intérieur de la porte ».

Q. Certains de ces professeurs ont-ils parlé de Chang San Feng ?

Maître Ma et maître Huang ont souligné que le Tai Chi remonte à Chang San Feng, mais qu’il s’est perdu dans la chaîne de transmission entre cette époque et maintenant.  La carte secrète de la lignée de Maître Huang,qui remonte à 6 ou 7 générations

Q. Vous m’avez très aimablement envoyé une copie de la carte originale de la lignée de maître Huang pouvez-vous m’en dire plus à ce sujet ?

Et bien, c’est quelque chose qui n’a jamais été publié avant – une carte de la lignée secrète avec les élèves internes du Maître Huang sur la ligne du bas. La ligne suivante montre tous les élèves internes de Cheng Man Ching.  Ensuite au-dessus ceux de Yang Cheng Fu etc… La carte de la lignée révèle la chaîne exacte remontant sur 6 ou 7 générations.  J’ai été le seul autorisé à prendre une photo et l’original a disparu lors de la mort de Maître Huang. Malheureusement la résolution n’est pas assez bonne pour lire, mais c’est peut être suffisant pour savoir que ces choses existent. Je l’ai gardée privée jusqu’à maintenant.

Q. Pourquoi y a-t-il tant de secret autour de cette carte ?

Le secret est à cause des gens de mauvaise foi qui auraient pu tenter de l’utiliser pour leurs propres fins politiques. Mais aussi parce qu’en Chine la police secrète l’aurait utilisée pour persécuter des gens et leurs proches.

Q. Certains noms semblent être biffés, pourquoi ?

Ils ont probablement été biffés à cause des décès. Je ne sais pas si une personne pouvait être expulsée.  Maître Huang commenta une fois cela en disant que les gens ne pouvaient pas être expulsés, de son point de vue certaines de ces personnes n’étaient plus dans son école interne.

Interview réalisé par Matthew Rochford, juin 2011.

chang san feng fondateur