Tandis que le véritable entraînement interne du Taiji concerne le Qi, il est nécessaire de comprendre qu’il y a différentes qualités de Qi. Les hommes sont un mélange de ces qualités et il est possible de raffiner le Qi brut en nous-mêmes et de le transmuter en quelque chose de beaucoup plus élevé.

Au plan cosmologique, le Dao (Tao) dans sa forme la plus subtile, descend des Cieux (peut-être est-il préférable de dire, du niveau céleste pour éviter toute connotation religieuse). Les humains sont sur Terre et le Taiji est une méthode pour élever l’Homme du niveau terrestre au niveau céleste pour fusionner avec le Dao. Le moyen en est le Qi.
Pour ces pratiques, il ne suffit pas de savoir la théorie, il faut en connaître la méthode précise.

Grand Maître Zheng Manqing a expliqué que les 3 niveaux d’énergie, la Terre, l’Homme et le Ciel, étaient chacun, divisé en 3, donnant 9 étapes à travers lesquelles nous passons lorsque nous raffinons notre énergie interne dans les 3 mondes.
Master Huang aussi parlait parfois de ces 9 niveaux de raffinement interne.

Théoriquement et pratiquement, le Qi – considéré à la lumière des niveaux de la Terre, de l’Homme et du Ciel – peut être divisé en Jing (Essence), Qi (Energie) et Shen (Esprit-mental). Jing est l’énergie basique du corps (Terre) et se concentre dans le Bas Dantien qui enveloppe la région pelvienne et s’étend du périnée (Huiyin) jusqu’au nombril. Le Qi est l’énergie centrale d’une personne et se situe dans le Moyen Dantien qui enveloppe la région thoracique et s’étend du plexus solaire jusqu’à la base du cou. Le Shen est l’énergie la plus pure (Céleste) centrée profondément dans notre esprit au niveau du Haut Dantien qui enveloppe la tête.

Chacun des 3 Dantiens a 3 niveaux, par exemple les 3 niveaux du Bas Dantien sont le Huiyin (périnée), le point au centre de l’abdomen et le point juste en dessous du nombril. Notez que ces 3 Dantiens ne sont pas vraiment dans le corps mais sont des concentrations d’énergie à l’intérieur du grand champ d’énergie (Grand Dantien ou Sphère Personnelle d’Energie) qui s’étend à une longueur de bras dans toutes les directions enveloppant le corps et à l’intérieur duquel le corps existe.

En relation avec la pratique du Taiji, Maître Huang affirmait que pratiquer la Forme permettait de rassembler le Qi tandis que la Poussée des Mains permettait d’apprendre à utiliser cette énergie par les forces qui se développent entre notre partenaire et nous-mêmes. Il expliquait que se concentrer sur la vie extérieure à travers les sens externes disperse l’énergie dans le monde autour de nous, tandis qu’inversement, se concentrer à travers les sens internes à l’intérieur du corps (Dingjin) permet de conserver et d’accumuler cette énergie qui sinon serait perdue. De même, il prévenait que si la pratique de la Forme du Taiji permettait d’accumuler de l’énergie, la pratique de la Poussée des Mains pouvait entraîner sa dissipation. La raison étant qu’en pratiquant la Poussée des Mains, les personnes généralement retournent à un niveau externe de concentration et alors l’énergie est perdue comme elle l’est dans la vie normale.

C’est particulièrement vrai dans la Poussée des Mains Libre dont Maître Huang décourageait la pratique dans sa classe. Au lieu de cela, il rassembla 18 modèles fixes de Poussée des Mains grâce auxquels les élèves pouvaient s’exercer aux Poussées tout en se concentrant profondément comme dans la pratique de la Forme. C’est seulement à un stade ultérieur – tel que Maître Huang au cours de ses dernières années – que la pratique de la Poussée Libre peut aussi servir à accumuler de l’énergie.

Cette réserve d’énergie – générée en pratiquant la Forme en profondeur-  pourra plus tard être générée aussi par la Poussée des Mains, et être attirée à un niveau supérieur en nous-mêmes par certaines pratiques, souvent tenues secrètes mais qui sont en fait plus correctement, la propriété de tous. Les véritables pratiques les plus élevées ont leurs propres protections naturelles dues à l’incapacité des gens non raffinés à percevoir et à comprendre leur subtilité. Maître Huang enseignait dans un premier temps – en pratiquant le Taiji que la circulation du Qi dans le corps devait être légère et naturelle. Maintenir cette conscience du corps légère et détendue permet aux Energies de circuler librement tout en s’accumulant quand c’est nécessaire dans les centres d’énergies naturelles. A ce premier stade, une douce chaleur peut être occasionnellement ressentie autour du corps.

Cependant, en privé, quand les étudiants avaient atteint un stade plus avancé, il recommandait de descendre l’esprit à un niveau plus profond et d’utiliser le Yi (intention ou volonté) pour conduire les énergies à travers le corps, stimulant ainsi un flux accru de Qi, renforçant le champ d’énergie et entraînant le corps à élever sa capacité à gérer l’augmentation d’énergie. Une forte chaleur est habituellement ressentie dans le corps à ce stade alors que le flux accru de Qi brûle les obstructions grossières dans les canaux énergétiques corporels. Cette chaleur intense apparaît parfois dans des endroits du corps au hasard et peut être accompagnée par des zones très froides. En réponse à mes questions détaillées sur le sujet, Maître Huang suggéra qu’il n’était peut-être pas correct de simplement se concentrer sur le Bas Dantien en pratiquant la Forme, comme c’est souvent écrit. Il expliqua qu’il valait mieux répandre sa conscience à travers et autour du corps tout en relâchant simultanément l’emprise de l’esprit sur le corps.
Une longue pratique à ce niveau, accompagnée d’un effort vers le vide et vers un niveau de l’esprit toujours plus profond, permet aux flux maintenant stimulés de devenir naturels et de circuler librement, sans entraves du corps physique grossier. Il existe une intelligence raffinée naturelle connectée avec les niveaux plus profonds du corps et la circulation de l’énergie à travers les méridiens. Cette intelligence gère maintenant le flux accru d’énergie sans plus aucune interférence délibérée. A ce stade, la chaleur se stabilise en un doux halo ressenti à la fois à l’intérieur et autour du corps – une fois décrite par Maître Huang comme « la sensation que quelqu’un marche à vos côtés en tenant un grand bol d’eau bouillante. »

Quand dans la pratique de la forme, Maître Huang sentait que les circulations d’énergie avaient atteint un niveau satisfaisant – typiquement il suggérait après 7 années de pratique – alors il pouvait enseigner la pratique de ‘l’assise tranquille’, qui n’était jamais sensée remplacer la Forme mais plutôt l’enrichir.

Il enseignait 2 méditations basiques – une pour se concentrer sur le Bas Dantien dans la région pelvienne et l’autre pour se concentrer sur le Haut Dantien au niveau de la tête. Elles ont deux buts différents mais connectés. Celle sur le Bas Dantien était pour se connecter avec les aspects du Qi les moins élevés, c’est- à -dire le Jing et celle sur le Haut Dantien avec les aspects supérieurs du Qi, le Shen. A un stade ultérieur, ces deux énergies se fondent dans le Moyen Dantien où le Jing est graduellement transformé et accumulé en Qi. Plus tard encore, le Qi est élevé dans le Haut Dantien quand l’achèvement des 3 stades ultimes des 9 niveaux peut être accompli.

La Puissance Interne
Lorsque le Qi, motivé par le Yi (l’intention dirigée par l’Esprit) est combiné à la respiration et aux mouvements détendus du corps, il produit cette force de détente ressort, connue en chinois sous le terme technique de «Jing». Ce Jing ou puissance interne est communément désignée, par confusion pourtant, comme Qi en chinois et Ki en japonais.
L’intensité de la puissance intérieure dépend de la force d’Intention de l’Esprit combinée à la force du champ énergétique et à la capacité de coordination que possède le corps pour transmettre les forces engendrées.
Ces forces sont ce qui induit le corps à bouger. Chaque composant peut être indépendamment renforcé et raffiné : Intention de l’Esprit, champ d’énergie, étirement et compression à l’intérieur de ce corps fluide, puis ce qui résulte de la réponse extériorisée du corps.

Alors que pour un observateur extérieur la puissance interne peut apparaître comme mystérieuse, ce qu’expérimente la personne qui l’exprime est complète­ment lucide. La puissance interne dépend toujours de l’intensité avec laquelle, au moment de son apparition, la conscience est activée. La capacité à produire cette force nécessite de s’entraîner sur une longue période à apprendre à dir­iger sa conscience. Il faut également que cette capacité à diriger sa conscience s’approfondisse avec le temps. Peut apparaître alors un niveau où les aspects les plus profonds de la conscience se trouvent au-delà des niveaux les plus ap­profondis de l’intention. L’intention elle-même semblera alors naturelle et sans efforts mais toujours surpassée par la conscience de l’Esprit Profond.

Souvenez-vous du vieux dicton du Taiji : «L’Esprit Profond (Xin) commande l’Intention (Yi) ; l’Intention dirige l’Energie (Qi) ; lorsque l’énergie se déplace, alors le corps doit suivre. »

Le processus de détente du corps
Maître Huang expliquait plus profondément le processus de détente comme ayant 3 phases, relâcher,  s’écouler et vider (Sung, Chen et Kung)

– Le relâchement concerne la suppression de la force externe du corps, l’écoulement, concerne l’apparition des forces internes, alors que vider concerne la direction de ces forces internes depuis une partie profonde de l’esprit lui-même.

– L’écoulement ne signifie pas simplement un apaisement du champ d’énergie et du corps pendant que ce dernier presse sur le sol, mais peut-être l’exact opposé – l’intensification et l’émergence de forces élastiques et d’énergie à un niveau plus profond remplaçant la force externe simultanément évacuée par le relâchement du corps.

– Vider l’esprit ne signifie pas calmer les pensées automatiques superficielles qui envahissent habituellement l’esprit des personnes inexpérimentées, quoiqu’il s’agisse là du début de l’apprentissage externe.

N’oubliez pas l’expression taoïste: « le Vide qui est vide n’est pas le vrai Vide. Le Vide qui est plein est le Vide réel». Tout comme le relâchement du corps permet aux forces et aux énergies d’y croître et d’y travailler, alors la concentration sur ces forces et énergies donne naissance au renforcement d’une partie plus profonde de l’esprit (l’Esprit Profond, Esprit vide ou « L’esprit dans l’Esprit ») qui survient progressivement au fil des ans avec la formation adéquate. Puis, de cet aspect plus profond de l’esprit, le Yi prend le contrôle des énergies et des forces subtiles ainsi que du corps lui-même.

Comprendre et pratiquer le cycle des 3 phases du processus de relâchement,  c’est comprendre et entraîner l’esprit.
Pour initier la pratique de l’esprit, Maître Huang, à la fin de sa vie, parlait explicitement de se fermer à la prise de conscience quotidienne comme lorsque l’on va s’endormir, puis d’utiliser la conscience plus profonde qui apparaît pour gérer l’entraînement interne. L’esprit fonctionne simultanément sur le plan externe d’une vie normale (esprit superficiel au sein du monde physique) et sur chacun de ses 3 niveaux internes (esprit profond dans les niveaux de l’Homme, de la Terre et du Ciel).
Au cours du processus de formation interne l’esprit au départ est activé vers l’intérieur et stabilisé à un sens plus profond du corps. Plus tard, il est à l’écoute du niveau intermédiaire des forces qui opèrent dans le corps (Taiji jin élastique). Enfin, il est optimisé pour le champ d’énergie personnel avec ses 3 niveaux – Jing, Qi et Shen.
En outre, l’esprit a un triple aspect – Prise de conscience (Dingjin), Intention (Yi) et Intelligence – qui opèrent sur chacun des niveaux ci-dessus.

Le Dingjin
Pour mieux comprendre la prise de Conscience (Dingjin) à la fois dans le sens de l’écoute sur le premier niveau du mouvement du corps et le niveau intermédiaire des forces internes, il est nécessaire de savoir que tout comme nous avons 5 sens externes (vue, ouïe, odorat, goût et toucher) pour percevoir le monde extérieur, nous avons également des sens internes (qui peuvent être commodément regroupés en 5) pour percevoir notre monde interne. Ces capteurs physiques ou extrémités nerveuses sont de différents types – capteurs de douleur, capteurs articulaires, capteurs d’états musculaires, capteurs de pression et capteurs de température. Les capteurs de température et de douleur ne sont pas directement impliqués durant les mouvements normaux, laissant toutes les actions être régulées  (à un niveau subconscient pour les gens non entraînés) par les capteurs articulaires, d’état musculaire et de pression.

Donc, pour entraîner le Dingjin cela signifie rediriger lentement la conscience des 5 sens externes à ces 3 capteurs internes. Les efforts visant à s’entraîner à des positions précises dans la forme de Taiji, se concentrent sur les capteurs articulaires. On met l’accent sur les capteurs d’état musculaire en s’entraînant aux changements musculaires, initialement en contractant et relâchant, puis plus tard par l’étirement et le dés étirement. S’entraîner au départ avec la pression des pieds contre le sol et la pression des mains contre le partenaire, et plus tard avec les pressions qui se développent profondément à l’intérieur du corps mais plus particulièrement dans et autour de la ceinture pelvienne et de la taille, permet de se concentrer sur les capteurs de pression. L’entraînement sur ces 3 capteurs, entraînera inévitablement de connaître aussi la prise de conscience de la chaleur du champ du corps (souvent confondu avec le Qi lui-même).

Le Yi
C’est une étape encore plus difficile d’acquérir une meilleure compréhension de l’intention (Yi) et de la formation nécessaire à son renforcement et son raffinement. En parlant du Yi Maître Huang  citait habituellement l’adage classique : « le cœur »  (Xin = noyau profond de l’être, qui n’est pas la nature émotionnelle) génère le Yi (chinois classique = intention ou volonté). Le Yi déplace le Qi. Lorsque le Qi se déplace, le corps suit. En raison de l’augmentation de puissance découlant d’un développement correct du Yi, les méthodes de formation du Yi sont, historiquement, comme l’a expliqué maître Ma Yueliang, « enseignées en secret aux membres des écoles internes des quelques maîtres qui l’ont compris». Entraîner  le Yi implique des efforts plus directs que l’entraînement du Dingjin tout comme  activer les muscles nécessite plus d’effort que de prendre conscience de l’information sensorielle.

Essentiellement, nous renforçons le Yi tout d’abord en se concentrant sur un point au sein du corps et plus tard à l’extérieur, tout en dirigeant notre énergie vers ce point. Pour affiner nous remplaçons le point par une ligne de lumière droite et plus tard incurvée. Pour affiner davantage nous remplaçons la ligne par une sphère changeante, s’étendant jusqu’au bout des bras, voir un peu au-delà, tout en incluant en même temps tous les points et toutes les lignes. Cette sphère finale est l’espace unique dans lequel l’esprit, l’énergie et tous les mouvements possibles du corps fusionnent. Afin d’affiner et d’approfondir le Yi issu des niveaux internes, il est important de se rappeler que le Yi est émis depuis le niveau sur lequel la prise de conscience est centrée à  ce moment-là.

L’Intelligence
Le développement du troisième aspect de l’esprit, l’intelligence, sur chacun de ces niveaux est le résultat de l’entraînement de la prise de conscience et de l’intention sur chacun des niveaux. Tout comme un bébé qui apprend à marcher par de grands efforts (demi-conscients) en utilisant (semi-consciemment) la prise de conscience pour surveiller les résultats graduels,  développe l’intelligence du corps et par conséquent la capacité de marcher et de se déplacer à l’extérieur de manière complexe, de même en Taiji les efforts conscients (intention) combinés avec la prise de conscience sur chacun des niveaux construisent l’intelligence sur chacun de ces niveaux. L’Intelligence (compréhension, ou être intérieur) ne peut être travaillé directement, ni grandir convenablement en s’entraînant simplement à la seule prise de conscience. L’intelligence, l’aspect le plus important de l’esprit, se développe uniquement par le biais de l’interaction consciente de la prise de conscience et de l’intention.
Sources : relax deep mind Patrick Kelly et https://patrickkellytaiji.com/patricksarticles.html

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