Lizelle Reymond – Le Taiji

Le T’ai Ji et les symboles

Je vous parle ici, à Paris, pour la seconde fois, de T’ai Ji Kuan. L’année dernière (1971), je vous ai présenté un film montrant le maître Dee Chao exécutant les mouvements traditionnels de l’École Yang, qu’on appelle aussi maintenant la « Vieille École ».

Depuis, de nombreuses personnes sont venues me questionner. Certaines, toutes occidentales, sont devenues mes élèves, d’autres se sont montrées pressées de connaître cette méthode de gymnastique intériorisée qui devient à la mode, beaucoup d’entre elles désirant, en quelques semaines ou quelques mois, connaître toutes les séquences du T’ai Ji afin d’être, comme on dit, « dans le vent ». Cependant je crois qu’il est nécessaire, pour faire un bon travail, que l’élève ait reçu au préalable une certaine préparation de la pensée et du corps, sinon il sera vite désarçonné devant ce que cette discipline étrangère nous demande, qui est d’oublier ses habitudes et le goût d’efficience qui nous caractérise.

Or, pour vous parler même très simplement du T’ai Ji Kuan et des symboles qui l’accompagnent, je me trouve devant un dilemme. C’est un art en soi, une science exacte que l’on peut aborder sous divers aspects : elle est entourée d’un certain mystère. On ne peut s’empêcher d’en parler sans faire un rapprochement avec l’alchimie. En faisant cette comparaison, vous comprendrez que nous ne pourrons ensemble qu’effleurer le sujet. Celui-ci est d’une importance considérable parce qu’il touche l’Univers qui nous entoure en relation avec notre vitalité et le centre de gravite de notre être d’où part un vrai mouvement que ce soit un mouvement du corps, de la pensée ou du sentiment.

Les Chinois ont appelé cette science « un chemin vers l’Ultime Suprême » ou encore, dans la condition de l’homme qui cherche à comprendre la vérité, « un moyen d’atteindre l’Ultime Connaissance ». Et cela est valable pour ceux qui professent le taoïsme, le confucianisme ou le bouddhisme, sous les deux aspects dont nous entendons beaucoup parler : le Chan de Chine ou le Zen du Japon. Pour nous qui appartenons à une autre culture, à une autre civilisation, nous ne pouvons-nous en approcher qu’avec beaucoup de respect. Pendant longtemps, nous ne ferons qu’évaluer, comparer et juger les mouvements apparemment très simples et vite appris du T’ai Ji, jusqu’à ce que nous découvrions, en nous, la finesse nécessaire pour percevoir la valeur des principes qui nous sont proposes — ne serait-ce par exemple que celui de sentir dans le corps ce qui est poids et légèreté. Ce travail demande de la patience. II nous conduira par une sensation définie à découvrir comment mieux utiliser l’instrument que la vie nous a donné : notre corps.

Si nous tentons d’étudier les principes qui vivent dans le T’ai Ji, si nous laissons ces principes nous influencer, nous enrichirons le contenu de notre vie et nous nous libèrerons de beaucoup d’anxiété, de beaucoup de fatigue. En un mot, nous découvrirons une source interne d’harmonie pour communier avec les forces de la nature.

Pour nous approcher du sujet, je vous propose que nous nous posions ensemble la question suivante : « Qu’est-ce que je suis ? » La réponse est simple : une masse de matière lourde de quelque cinquante à soixante-dix kilos obéissant à la Loi de la pesanteur. Cette Loi m’attache au sol. Nous sommes bien obligés de le reconnaitre, mais en même temps, nous allons nous approcher du secret rythmique du T’ai Ji et admettre — ne serait-ce qu’un moment — que notre corps est le réceptacle d’énergies constamment en mouvement où la pulsion de la vie dans l’ordre cosmique est pareille au battement de notre cœur, pareille a la pulsion de la sève qui nourrit l’arbre de ses racines a ses feuilles, pareille a la pulsion qui fait éclater les grains au sein de la terre.

Si nous y parvenons, nous sommes au cœur de la proposition fondamentale du T’ai Ji qui est qu’esprit et matière ne font qu’un. Par ses ascendants, le Chinois tout naturellement vit avec cette conception car son père et son grand-père lui ont transmis cette assurance. Il n’y a pas de différence entre lui et la Nature (avec un N majuscule). Il est un être complet, le microcosme du grand macrocosme, sans qu’on ait eu à le lui enseigner ou à le lui faire découvrir. De là, chez lui, une tranquillité foncière levant le problème de la vie et de la mort, une possibilité d’assimilation des difficultés quelles qu’elles soient, car il est un fragment de la vie à quelque degré que ce soit. Et cela a des répercussions profondes sur le caractère.

Je me souviens, lors de mon premier séjour en Chine en 1947, d’être allée avec un ami chinois sur l’une des Collines près de Canton. C’était peu de temps après la retraite des Japonais. Aussi loin qu’on pouvait voir, il n’y avait que pierres calcinées et bois noirci. Mon ami chinois s’est baissé pour ramasser de la terre qu’il a fait glisser entre ses doigts en me disant : « Regardez, il y a trente ans il y avait ici toute une ville. Elle a été rasée, il n’en reste rien. Mais cette terre dans ma main, le ciel et moi-même, c’est une même chose ! »

Pour nous Occidentaux, cette proposition de partir de la masse de notre corps pour percevoir le chemin vers l’énergie en nous est singulièrement étrangère – un jeu de la pensée. Nous acceptons intellectuellement l’idée de l’Ultime Suprême T’ai Ji, mais sans nous rendre compte que le seul fait d’imaginer une réalisation sans forme est déjà associé à la lourdeur du corps.

Il nous est dit que le T’ai Ji, dans sa forme philosophique la plus ancienne, est l’ancêtre de tous les arts martiaux de l’Orient – du tir à l’arc, par exemple. Nous voyons là une contradiction flagrante car les arts martiaux tellement à la mode de nos jours en occident – sabre, Aïkido, Pa Kua, Judo – sont compétitifs et défensifs. Comment peuvent-ils être associés à l’Ultime Suprême ? Je vous situerai l’époque à laquelle cela s’est produit.

Dans les arts martiaux, il est question, à coup sûr, d’une très dure discipline physique, mais à l’inverse de ce que nous comprenons par discipline physique, il sera question dans le T’ai Ji d’un tout autre entraînement qui consistera à abandonner toute force physique, tout travail volontaire des muscles, pour découvrir l’extrême souplesse consciente qui peut exister dans la masse du corps. Cette forme de discipline crée une grosse difficulté aux élèves d’Occident, où la force physique est plus respectée que l’attitude calme dans laquelle peut naître la sensation d’un mouvement plus juste.

L’exemple classique de la souplesse donne par les textes taoïstes est celui de l’eau qui joue dans le ruisseau. Cette même eau peut devenir typhon dévastateur. Retournez les éléments de cette proposition, et vous aurez une souplesse capable de tout faire tomber devant elle.

On peut alors se poser la question : « Qu’est-ce que le T’ai Ji ? » Des séquences de mouvements continus dans lesquels le corps se donne, se reprend, découvre l’énergie qui l’habite, la contient et la distribue. Ce qui frappe, c’est la lenteur des mouvements. Et plus l’élève progressera, plus ses mouvements ralentiront car ils seront de moins en moins commandés par la mémoire et de plus en plus intériorisés. On ne peut pas les comparer à une danse, bien qu’on y découvre un certain rythme, soutenu et égal, qui est celui d’une vibration interne. Quand le T’ai Ji est devenu une expérience personnelle, Il se fait dans le silence, permettant à celui qui le pratique de saisir et de se nourrir, littéralement, du courant énergétique, qui est vitalisant. Le T’ai Ji est en effet une possibilité d’affinement conscient de l’être, jusqu’au point d’imaginer le phénomène de la transparence. Cet affinement, dont beaucoup de textes sacrés parlent, demande un long travail. L’exemple parfait est celui du vase d’argile qui, par le frottement de la main du potier, devient un récipient transparent ; un autre exemple traditionnel est celui de la Barre d’acier qui, longtemps travaillée, devient une fine aiguille.

Il arrive — et nous le savons bien — que l’homme puisse être vivant dans sa pensée et littéralement englouti dans un corps rigide. Il peut être aussi anéanti dans sa pensée, bien qu’ayant un corps agile. Dans le T’ai Ji, loin de ces exemples extrêmes, la recherche est d’être consciemment accordé avec le rythme cosmique dans toutes les parties de l’être.

Le fait de la pensée ramenée à soi — qui est le propre de la conscience — donne la possibilité d’associer ce qui est au-dedans avec ce qui est au-dehors. Le taoïste sait qu’un orage en soi-même est pareil à un orage dans la nature, c’est-à-dire une profonde perturbation. Sa sensation de mobilité des éléments lui fait concevoir la différence qui existe, en lui et à l’extérieur, entre ce qui est statique et mobile, entre la montagne et la rivière qui coule à ses pieds, entre ce qui est soumis aux lois de la terre et ce qui obéit aux lois du ciel. D’où la nécessite d’une étude approfondie des rapports qui existent entre la nature environnante et l’homme qui a la faculté de comprendre, de modifier, d’aménager, de se renouveler, de croitre, de s’affirmer — pour mourir finalement comme tout ce qui a une existence. Mais cette existence peut être harmonieuse en soi, si elle reste souple et flexible, en dépit de n’importe quelles circonstances extérieures. Au-dessus de l’homme est son univers, le T’ai, c’est-à-dire l’immensité d’un monde clos dont il est un fragment. Dans sa vie pratique, le Kuan (le troisième mot de T’ai Ji Kuan) signifie beaucoup de choses, entre autres la main, l’indispensable outil utile pour cueillir les fruits de la terre et recueillir l’eau du ciel.

Le deuxième mot, Ji, touche un tout autre plan. C’est un mot ésotérique signifiant « extrême limite » de l’Ultime Suprême dont nous parlons. Nous devons choquer nos amis chinois et sinologues Lorsque nous mélangeons les significations de Ji et de Chi, sans même nous en rendre compte. Les deux mots s’écrivent avec des idéogrammes très différents. En fait, Chi est l’esprit-vie qui circule dans le T’ai Ji ; il est le souffle.

Avant de vous parler des mouvements, je voudrais faire avec vous un bond rapide en arrière de trois millénaires avant J.-C. Nous découvrirons qu’en Chine, à cette époque reculée, un panthéon existait déjà, formé par les mânes des ancêtres et par les dieux familiers, groupes autour d’Empereurs légendaires aux noms fabuleux : les fondateurs de l’écriture, de l’agriculture, de la médecine, de l’art de gouverner, etc. L’histoire de ce temps est mythique, mais on y parle déjà d’un certain T’ai Ji sacré avec une signification hautement symbolique qui n’a pas varié.

On sait que sous le règne de l’Empereur Wu, une inondation catastrophique recouvrit de vastes étendus dans le Nord du pays, causant mort et dévastation des récoltes. Pour sauver la santé morale et physique de son peuple, l’Empereur Wu ordonna des « Exercices rythmiques collectifs autour des temples, pour que l’inaction et le désespoir ne s’emparent pas de ses sujets, pour stimuler leur énergies soutenir leur tonus nerveux, et les empêcher de sombrer dans les épidémies.

Cette conception de mouvements ordonnés et précis était en rapport avec le symbolisme de l’univers : un cercle hypothétique, non-dessine, à l’intérieur duquel les anciens philosophes chinois, comme les rishis de l’Inde, figuraient le Vide insaisissable.

Cette notion négative suprême a un nom qui n’est jamais prononcé. Pour s’en rapprocher, l’homme, humblement et inlassablement, a dessiné sur la terre une surface en rapport avec lui, un carré avec des lignes perpendiculaires. Il se tient au centre, debout entre ciel et terre, et fait des gestes précis selon des règles données, pour établir une correspondance avec les lois cosmiques qui le gouvernent. Ce carré magique a comme côté la largeur de son corps ; la surface ainsi composée est son espace vital, le champ de son être. Un idéogramme l’exprimera : une croix dans un carré.

Au-dessus de l’homme, d’un horizon à l’autre, s’étend l’univers du Temps, dont l’homme sait bien que la vertu est de procéder par révolution. Or cette nature cyclique du temps – qui l’apparente à tout ce qui est rond – l’oppose automatiquement à ce qui est carré, à la surface conçue par l’homme sur terre. On aura toujours un carré enfermé dans un cercle ou un cercle contenu dans un carré. Telles sont les formes pures du Temps-durée et de l’Espace-surface, c’est-à-dire du rond de l’univers clos et du carré de la surface – les deux principes que le T’ai Ji reconnait comme symbole de base et sur lesquels tous les mouvements sont établis. Dans l’homme, le point de liaisons des opposés entre ciel et terre sera, en lui-même, son centre de gravité où le mariage Temps-Espace est possible.

Nous abordons maintenant un autre symbole, découlant du premier. Le seul fait de penser à l’Ultime Suprême, et d’en parler, fait surgir dans la pensée une activité dont le substratum est la non-activité. Tout de suite les sens saisissent l’opposition entre les deux notions : action et non action, qui sont liées l’une à l’autre comme les deux bouts d’un bâton.

Le fait d’exister, de durer, permet de constater, à la longue, l’alternance irrégulière des opposés, c’est-à-dire la réalité de l’univers clos sous ses deux aspects : d’un côté il y a ce qui est lumineux et dur, le Yang ; de l’autre, ce qui est sombre et doux, le Yin. À l’infini, on peut énumérer des opposés : mâle-femelle, bon-mauvais, chaud-froid, jour-nuit, etc.

Pour l’homme, dans sa conception d’une réalité toute relative, le symbole abstrait de l’Ultime Suprême se reflète dans un cercle qui contient les opposés de l’univers clos sous la forme de deux poissons qui se mordent la queue ; l’un est noir, l’autre blanc ; ou sous la forme de deux larmes inversées. Au centre de la larme blanche, il y a un point noir, au centre de la larme noire, un point blanc. Entre ces deux points, on présume un axe autour duquel une mystérieuse énergie va entraîner ces deux points  à tourner sans fin et sans que la distance entre eux soit jamais modifier.

Si ce symbole est ramené à la vie de l’homme, la question qui se pose sera : « Est-ce que l’équilibre intérieur existe ? Y a-t-il une possibilité de ne pas être écartelé par les opposés qui sont en nous ? » Formuler une réponse est impossible, en revanche il est possible de faire l’expérience que l’équilibre n’existe que dans le mouvement et n’est perceptible qu’à l’instant où Temps et Espace s’accordent dans la verticale de l’axe. La tentative du T’ai Ji est de créer cette expérience par le mouvement du corps. Ces mouvement donneront l’impression de n’avoir ni fin ni commencement, d’être portés par les vagues.

Il y a treize type de mouvements dont huit sont ceux des bras et mains qui indiquent des directions : s’avancer, se retirer, s’effacer, pousser, presser, contenir, attaquer, parer. Ils sont symboliquement figurés par huit signes qui s’écrivent chacun par un groupe de trois lignes superposées, des lignes pleines ou brisées, ou par un mélange de lignes pleines ou brisées, suivant la densité de l’énergie en mouvement. Ce mode d’écriture symbole extrêmement précis remonte, dit la Tradition, au premier des Empereurs légendaires, Fo Hsi, qui les a inventés en partant des marques sur le dos d’une tortue, pour déterminer le mouvement des vibrations qui animent la création et les multiples modifications des énergies. Ce sont les huit trigrammes utilisés par le T’ai Ji, des images de ce qui se passe dans le ciel et sur la terre, des signes d’états changeants qui se transforment continuellement. Dans le T’ai Ji, ils déterminent les états suivants : le début du mouvement, la difficulté dans le mouvement, l’apaisement, l’achèvement, qui sont des modes de l’aspect yang, Les mouvements yin sont déterminés par des signes désignant : la douceur, la pénétration, l’adaptation, la tranquillité.

A cote du mouvement des mains, il y en a encore cinq des pieds qui se posent toujours sur les perpendiculaires ou les diagonales de la surface carrée. En même temps, chaque surface cardinale évoque un des éléments de l’univers : l’eau au nord, le feu au sud, le bois à est, le métal à l’ouest. L’homme, au centre, figure la terre. Or ces éléments opposés et complémentaires s’interpénètrent pour le bien de homme : le bois produit le feu qui produit la terre. La terre produit le métal qui produit l’eau, et l’eau le bois. Mais ces éléments peuvent aussi s’opposer ct se détruire, l’eau éteindre le feu, la terre recouvrir l’eau, le bois envahir la terre, le feu fondre le métal. Le Tao dit « L’homme souple saura, avec son intelligence éveillée, reconnaitre la voie juste ! »

Ces symboles ne sont jamais discutés. Ils sont un langage vivifiant, mais secret, pour ceux qui savent les interpréter. Celui qui a dépassé les difficultés des mouvements du T’ai Ji a de la joie à les faire, car il sent en lui-même comment l’énergie associe les opposés pour faire place à une grande tranquillité. C’est en cela que le T’ai Ji est une méditation dynamique, dans laquelle le mouvement de la vie est ramené au centre de gravité.

Ce T’ai Ji symbolique a connu son éclosion au deuxième siècle de notre ère au cours duquel le célèbre chirurgien Hua To (qui utilisait déjà l’anesthésie) composa une série d’exercices qu’il appela « le jeu des cinq animaux ». Ce livre est un classique. Ces animaux sont le tigre, l’ours, le daim, le singe et la grue, qu’il observa dans la nature en relevant minutieusement comment s’opéraient chez eux les contractions et les extensions, la reptation, la torsion, le balancement, le déhanchement, le saut, pour les étudier ensuite chez l’homme afin de lui rendre la flexibilité perdue de l’enfant, qui assure le non-vieillissement du corps, hormis celui qui est amené normalement par l’âge. C’était l’œuvre d’un médecin qui s’occupait aussi bien de la santé psychique que de celle du corps.

Dans ces mouvements de Hua To, l’observation repose principalement sur le mécanisme des mouvements instinctifs dans lesquels le mental n’a aucune place. Cette forme de T’ai Ji doit être étudiée pendant très longtemps pour qu’il soit possible de découvrir comment se mouvoir sans tension, sans effort, avec un rigoureux contrôle de l’influx nerveux. De nos jours, ces mouvements sont la base d’exercices préparatoires indispensables pour obtenir la tranquillisation interne du corps.

Nous sommes encore au deuxième siècle, mais pendant les onze siècles qui vont suivre, le T’ai Ji disparait totalement de la scène. La Chine est devenue un champ de guerres civiles, de rivalités, d’affrontements – une longue période pendant laquelle le T’ai Ji se cache dans les sociétés secrètes florissantes. Il devient l’apanage des classes au pouvoir, Il se transmet de famille à famille, de  province à province ou au sein des clans militaires, pour réapparaitre au treizième siècle, plein de vigueur, enrichi de surcroit par toutes les techniques défensives que l’honneur réclame, de la lutte au bâton jusqu’au jeu du sabre et de l’épée.

La première forme écrite du T’ai Ji date du quatorzième siècle. Elle est attribuée à un moine taoïste, Chang Sang-Feng, qui l’aurait reçue en rêve. Mais cette attribution est certainement sans fondement car les Classiques avaient déjà  mentionné les disciplines du corps associés aux symboles, ce qu’ignorait sans doute Chang Sang Feng, coupé de toute transmission traditionnelle sous l’effet du secret observé durant les siècles précédant son existence. C’est lui qui devint néanmoins par la suite Ji’an l’ancêtre idéal ralliant toutes les Ecoles.

Au début du dix-huitième siècle, le T’ai Ji fut enseigné pour la première fois à Pékin par Yang Lu-Ch’an, dc la province de Hopen. On connait le nom de son maitre et l’on peut remonter à quatre générations successives. Mais on est loin du compte pour retrouver Chang Sang-Feng.

Et pourtant, un élève de Yang Lu-Ch’an nomme Wu, le descendant d’une famille noble qui eut lui aussi un certain nombre de disciples, découvrit par hasard un manuscrit qui établissait une filiation indirecte se rattachant a Chang San-Feng. Wu était alors en route vers le nord du pays pour aller rendre hommage au maitre très âgé de son propre maitre. Surprise par la nuit, son escorte fit halte dans une bourgade où, dans la pauvre échoppe d’un vendeur de sel, il découvrit le précieux manuscrit. C’était un texte qui révélait la signification des symboles oubliés au cours des siècles.

De nos jours, le T’ai Ji traditionnel reconnait trois Ecoles principales : celles de Chen, de Yang et de Wu dont les principes de base s’accordent et dans lesquelles on retrouve les mêmes séquences, avec des variations de peu d’importance car l’esprit est le même, avec la même rigueur dans l’exécution des mouvements.

Les chefs de ces Ecoles ont tous publié en chinois de volumineux traités avec force détails, mais un livre n’est pas la vie. L’instructeur est indispensable. Son rôle est délicat. Il ne peut transmettre que son expérience directe, et seulement ce que son maitre lui a donné et permis de transmettre. Ses élèves se grouperont autour de lui et s’attacheront à son enseignement si, bien qu’impersonnel et indépendant, il se montre sévère envers lui-même comme envers ses élèves. Il en résultera une symbiose qui unira instructeur et élèves tout au long de l’étude, reflétant la stabilité consciente qui sera leur expérience commune.

Lizelle Reymond
Lizelle Reymond

Lizelle Reymond Paris, 1972.