Le gongfu (kung fu), suprême acte de volonté
Maintenant, qu’en est-il de gongfu ? Ce terme dont la signification est communément restreinte aux arts martiaux couvre une étendue beaucoup plus vaste d’activités. Il serait plus juste de parler d’une façon particulière d’approcher ce que l’on fait dans la vie et avec quel objectif. C’est davantage le contexte d’exécution d’une activité que celle-ci comme telle.
Si nous décomposons son idéogramme, nous constatons qu’il est constitué de trois parties. La première fait référence à un travail, un labeur associé à une construction, un projet. Il en est venu à signifier habileté et dextérité.
La deuxième partie est associée à des mots comme force, effort, intensité, vigueur, vertu, valeur, résistance, endurance, résolution et ténacité. La combinaison de ces deux caractères forme “ gong ” et renvoie à des expressions comme “ énergie et temps ”, “ force du travail ”. “ endurance du travail ”, “ travail accompli ”. Nous y retrouvons également des notions comme celles d’un acte méritoire, d’un accomplissement, d’un résultat obtenu et celles regroupant la recherche des principes impliqués dans l’exécution d’une tâche.
La dernière partie de l’idéogramme représente un homme, un travailleur. Nous obtenons alors pour l’ensemble de “ gongfu ” un travailleur qui se dédie au raffinement de son endurance et à l’accroissement de ses capacités (physiques, morales, intellectuelles et spirituelles). Une qualité de présence constante à ce qui se fait ou se produit est sous-entendue dans la poursuite de son objectif.
Nous pouvons constater d’une manière générale que peut tomber sous l’appellation de “ gongfu ” une activité humaine soutenue dans le temps et menée dans le but de s’améliorer. Les principes animant le gongfu peuvent sous-tendre des champs d’intérêts comme les arts et métiers, la philosophie et la spiritualité, la médecine et les arts martiaux. Nous dirons spécifiquement ici “ gongfu wushu ” pour parler de la réalisation de l’homme au travers des arts de combat. Rappelons que dans tous ces domaines, nous retrouvons tant l’aspect de maîtrise que celle du long processus d’entraînement pour y parvenir.
Comme ingrédients essentiels de tous ces apprentissages, retenons des vertus fondamentales comme la volonté, la patience et l’endurance. Gardant ces aspects à l’esprit, nous pouvons alors traduire “ gongfu ” par travail, art, entraînement ou réalisation de l’homme. De la femme aussi, il va s’en dire ! Étant donné que la pratique des arts martiaux chinois requiert beaucoup de patience, d’énergie et de temps, nous pouvons maintenant comprendre pourquoi ils sont communément appelés gongfu.
Dans la culture traditionnelle chinoise, ceux-ci marchaient main dans la main avec la médecine et la recherche spirituelle. Le gongfu martial se devait d’abord d’être sain pour le corps et la médecine capable de soutenir des êtres pour faire face au combat de la vie. Dans ce contexte culturel d’intégration, l’idéal du gongfu prend une coloration particulière très bien exprimée dans cette traduction personnelle d’un extrait tiré du livre Chinese Healing Arts – Internal Kung Fu de William R. Berk:
Le terme kung fu signifie … s’exercer physiquement, l’art de l’exercice du corps appliqué à la prévention ou au traitement de la maladie; les postures particulières dans lesquelles se tiennent certains taoïstes; voulant dire “ travail fait ”.
Le kungfu a très tôt été adopté pour éloigner et guérir la maladie, pour renforcer le corps, prolonger la vie et la rendre plus heureuse; ce pour quoi il fut déclaré un système efficace et reconnu pour aller très loin dans ce domaine.
C’est au maintien de cette proportionnalité, cette espèce d’équilibre statique, physique, chimique et intellectuel, que la volonté, ce pouvoir moral humain, et les actes par lesquels elle se manifeste, doit tendre incessamment. Le kung fu fut institué avec cet objectif. Il est chargé du maintien et du rétablissement de toutes les parties du corps et de ses facultés dans leur condition d’unité et d’harmonie primitive entre elles et avec l’âme, de façon à ce que l’âme puisse avoir à sa disposition un serviteur puissant et fiable pour l’exécution de sa volonté.
En d’autres mots, et de la Notice d’Amiot [datant de 1779], le kung fu est un “ réel exercice de religion, lequel, en soignant le corps de ses infirmités, libère l’âme de la servitude des sens ” et lui donne le pouvoir d’accomplir ses devoirs sur la terre et de s’élever librement vers la perfection et la perpétuité de sa nature spirituelle dans le Tao, la raison du grand pouvoir créateur.
Ainsi, le kungfu, dans son institution primitive, apparaît comme un rappel de l’Arbre de Vie, vers lequel les humains des premiers jours sont venus après leur travail, pour abriter leurs forces et leur santé et pour conserver leurs âmes, encore pures, un instrument docile de leur volonté.
Les voies martiales (wushu) du gongfu
Les idées présentées dans le passage précédent peuvent être regroupées sous le thème d’une recherche d’unification du corps et de l’esprit. Au niveau des arts martiaux chinois, on en vint à aborder cette poursuite par deux voies complémentaires supposées se rejoindre au terme d’un long processus.
Les styles préconisant la voie externe, plus intéressée à l’énergie du mouvement, travaillent davantage au niveau physique. Ils misent initialement sur le développement musculaire et le renforcement tendino-ligamentaire. L’accent est mis sur la vitesse d’exécution des mouvements, la force et la précision. La performance et l’endurance physique y prennent également une large part.
Les styles privilégiant la voie interne, davantage intéressée aux mouvements de l’énergie, travaillent à la compréhension de sa nature, à son accumulation et à son raffinement, à son comportement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du corps. Cette orientation mise sur une sensibilité au subtil, un état particulier de disponibilité et de réceptivité. Elle incorpore une attitude consistant à “ laisser les choses être ” ou d’abandon de soi à ne pas confondre avec la négligence, la complaisance ou autres synonymes de même acabit.
Nous venons de voir que la dimension du travail énergétique occupe une place prépondérante au sein des arts martiaux internes, famille d’appartenance du yiquan. Notons chez ceux-ci une tendance plus marquée à la promotion et à la restitution de la santé comparativement à leurs vis-à-vis d’orientation externe.
EXTRAIT DE LA CONFERENCE
Grandir comme les arbres
Un regard sur le travail énergétique du yiquan,
la volonté et la quête spirituelle
Idées présentées par Claude Fournier, md.
le 13 septembre 1998 à Pohénégamook (Québec)
au Colloque International de Psychosynthèse
portant sur le thème de la coopération