La « Poussée de Mains » (Tui Shou)
comme moyen d’évolution personnelle.
Semblable à la pratique de nombreux arts martiaux, celle du Tai Chi Chuan allie le travail exécuté seul ou avec un partenaire. Ainsi, l’enchaînement représente la clé de voûte de la discipline, la base indispensable à la compréhension des principes inhérents au Tai chi : fluidité des mouvements, coordination, équilibre, relâchement neuro-musculaire, alignement du dos …
Ce sont les mêmes principes qui seront repris dans l’entraînement à deux, mais avec une difficulté spécifique et supplémentaire : la confrontation avec l’autre. Celle-ci permettant d’aborder la pratique sous un angle différent et de se mesurer, à travers le partenaire, à ses propres doutes liés à la crainte de ne pas réussir comme au désir d’y parvenir à tout prix; manifestations involontaires mais normales d’un ego que l’entraînement régulier va peu à peu effacer, ouvrant l’accès à une autre dimension de la pratique et de nous-mêmes.
Pour le novice et le débutant, voire pour certains pratiquants, la notion d’art martial reste associée, à travers la rencontre avec un partenaire, à la domination de celui-ci. Aussi bien par une supériorité physique et technique que par la mise en évidence de facteurs tels que le besoin de vaincre, d’imposer sa volonté ou son agressivité.
Ces données sont absentes de la pratique du Tai chi; elles sont même une entrave lorsque l’on réagit sous leur emprise. Toute confrontation entraîne une projection sur celui qui nous fait face, ne permettant pas de s’unir à lui afin de mieux percevoir son intention pour la neutraliser.
Ainsi, dans la poussée des mains, la volonté de chercher à pousser fait-elle perdre les principes propres au Tai chi en se plaçant dans une situation conflictuelle. Parce qu’il est impossible de réaliser une poussée correcte sans tenir compte du vis à vis, sans prendre en considération son espace et son souhait (celui d’avancer ou de reculer par exemple), la poussée des mains développe la capacité d’écoute et d’échange, afin que deux opposants n’agissent plus l’un contre l’autre, mais l’un par rapport à l’autre. Quiconque a déjà essayé une bonne poussée avec un partenaire qui de surcroît résiste, s’est trouvé confronté à ces états où l’esprit se heurte à la maladresse du corps. L’envie d’une réussite précipitée coupant les moyens à mettre en œuvre pour parvenir au but recherché, lequel ne peut être atteint qu’en l’absence de tensions musculaires et d’efforts brutaux.
Mais connaître les raisons de l’échec ne suffit pas. Tant que le corps n’a pas répété suffisamment l’exercice, l’intention de pousser viendra interférer, contrariant la réalisation correcte. Le processus nécessitant un certain temps peut conduire le pratiquant au découragement.
Respecter les structures corporelles justes demande une attention particulière. Corriger les mauvaises attitudes exige une vigilance soutenue. Le travail de l’enchaînement permet d’améliorer ces tendances en offrant la possibilité de rester concentré sur l’exécution du mouvement précis.
Dans le travail à deux, cette intention est contrariée, distraite parce que reporté sur celui ou celle qui fait face, réduisant notre faculté de concentration.
A nos propres mouvements s’ajoute la nécessité de prendre en compte ceux du partenaire, la réaction de l’un étant adaptée et dépendante de l’action de l’autre. Le manque de vigilance entraîne un risque de renouveler des erreurs que l’on croyait effacées, preuve que ce qui est présumé acquis ne l’est que partiellement. Point d’appui défectueux, dos voûté ou creusé, épaules contractées … autant d’erreurs qui contrarient la bonne technique, sanctionnées par une perte d’équilibre ou un enfermement dans la posture. Toute raideur empêche la libre circulation de l’énergie dans le corps et entrave son expansion au-delà de celui-ci. De plus elle révèle une intention par un mouvement anticipant l’action. Le fait de calculer le moment pour agir et la prise de décision l’instant suivant peuvent être signalé par un changement involontaire perceptible à l’œil, et surtout sensible au touché.
Le dessin de vouloir pousser fait donc perdre les préceptes découlant du relâchement global du corps et de l’esprit, permettant de profiter de la force de la terre, de la guider, de la diriger dans le corps. Etre suffisamment enraciné et relâché pour détourner toute tentative de déstabilisation.
Il s’agit donc de ne pas interférer avec la volonté du partenaire, mais il importe de le guider, de l’accompagner dans son geste, de le laisser agir au lieu de le contrer, de coopérer au lieu de dominer.
L’ouverture à l’autre offre une chance d’évoluer grâce à l’échange. De réaliser que notre action prend son sens en fonction de celle de l’autre.
Plus de combat, plus d’affrontement, les protagonistes bénéficie d’un progrès mutuel, l’adversaire devient un partenaire.
C’est à travers l’expérience de l’entraînement et avec le temps que l’on va peu à peu s’imprégner de l’état d’esprit adéquat: le lâcher prise. Ne pas interférer mais s’adapter. Favoriser l’écoute réciproque, véritable politesse du cœur, utiliser son intention (yi) dans tous les gestes. Nulle opposition, une continuité d’états changeants.
Pratiquer le Tui Shou c’est perpétuer un voyage initiatique à la découverte de soi et des autres. C’est permettre l’échange et encourager les compétences personnelles à se développer.